Paule Mackrous
Au centre de la vitrine, des petites personnes de tailles diverses se tiennent debout, dans le noir, papier en main. Le spectateur familier avec la scène de la poésie québécoise reconnaîtra sans doute quelques figures lisant des extraits de leur poème. Si le titre de l’œuvre annonce un chœur, c’est à tour de rôle que chacune récite ses vers. Lors des lectures, une bande sonore créée par un artiste audio jumelé avec le poète se déclenche. Des vidéos originales et des animations typographiques sont également générées. Ces dernières réagissent aux modulations de la voix des protagonistes, formant des constellations de lettres, de mots, qui glissent sur le plancher et attirent notre attention au cœur de la vitrine et sur les textes.
L’effet est d’abord surréel : les projections vidéo des corps sur les prismes triangulaires donnent l’impression que ce sont des hologrammes. La vitrine devient alors un castelet, un petit théâtre dissimulant le metteur en scène et ce qui anime les personnages, c’est-à-dire le logiciel, l’algorithme, l’artiste. La puissance de l’œuvre réside dans cet effet de présence des poètes dont l’existence scénique est très minimale. En effet, ceux-ci, pratiquement immobiles, sont confinés à un espace défini. Plus petits que nature, ils intriguent; ils fascinent. On les dirait venus d’un autre monde pour nous transmettre un message important. Tel que l’écrivait la poétesse Roswitha de Gandersheim en s’adressant à une petite marionnette, la présence réelle ou la grandeur nature n’offriraient pas le même effet : « une marionnette comme vous y surpassera toutes les actrices de chair. Vous êtes toute petite, mais vous paraitrez grande parce que vous êtes simple. Tandis qu’à votre place une actrice vivante semblera petite [1]».
Si les petits personnages s’apparentent à des créatures imaginaires, artificielles, on n’assiste pas pour autant à un « procès de déshumanisation contre l’interprète vivant [2] ». La programmation morcèle les lectures sans transformer le poète en mécanique docile ou en pantin désincarné. Il conserve sa singularité, sa voix, ses inflexions, sa posture et, surtout, ses propres mots. Les traces de son intériorité sont bel et bien présentes et contribuent grandement à l’expérience de l’œuvre.
Le castelet de Simon Dumas et Mickaël Lafontaine crée ainsi un support physique à la poésie, un espace scénique à échelle réduite où peuvent se rencontrer les textes comme les corps des poètes. Au contact de cet espace, le spectateur tisse peu à peu des liens entre les idées, les expériences, les sentiments qui émergent des soliloques. C’est dans ce tissage que le chœur advient.
[1] Didier Plassard, L’acteur en effigie, Lausanne, Éditions l’âge d’homme, 1992, p.32.
[2] Ibid. p. 20