14 mars 2019

 

Labyrinthes

 


 

Création par Laurent Lévesque
Texte par Paule Mackrous

 

Plus d’informations sur l’installation et l’artiste

 

 

 

Dans son article « The Garden as Significant Form [1]», la philosophe et historienne de l’art Mara Miller écrit que le jardin est particulier en ce qu’il est à la fois virtuel et actuel. Avec le jardin, on entre dans un lieu réel composé d’organismes vivants qui s’inscrivent dans le monde environnant. Au fil de la déambulation, on expérimente aussi, de l’intérieur, la représentation que l’organisation de l’espace engendre. Cela se fait sans rupture, « plutôt que de manière discontinue comme le font les miroirs et les peintures [2]». Cette expérience, double et complexe du jardin, est mise en scène dans l’installation vidéo de Laurent Lévesque mettant en scène un jardin-labyrinthe.

Deux écrans présentent un point de vue différent sur le jardin. Dans l’écran de gauche, on se trouve au centre d’un carrefour. Le point focal change rapidement et de manière continue à 360 degrés, comme si l’on tournait sur place. L’effet vertigineux est renforcé par la multitude de chemins possibles que présente un tel carrefour. Advenant une succession de choix judicieux, un seul mènera éventuellement à bon port, c’est-à-dire hors du labyrinthe. Les autres mèneront irrémédiablement au sentiment de la perte de soi.

Ce sentiment est exploré dans la projection de droite, où nous sont présentés les dédales du jardin-labyrinthe formés par de hautes haies taillées. Si la projection de la vidéo se trouve au fond de la pièce, derrière la vitrine, nous ne l’expérimentons pas avec une distance. Au contraire, l’œuvre engendre une expérience immersive dès lors que l’on porte les écouteurs à nos oreilles. Une note accompagne chaque trajet qui finit en cul-de-sac, augmentant la tension ressentie au fait d’être pris à l’intérieur d’un labyrinthe. C’est à ce moment que l’expérience bascule dans l’imaginaire et que le jardin-labyrinthe devient un « espace de projection : projection du monde, de soi, de ses peurs, de ses fantasmes [3]».

La structure architecturale du labyrinthe est une métaphore souvent utilisée pour décrire le réseau internet et plus spécifiquement son expérience interactive et les multiples choix qui la composent. Nous nous y enfonçons petit à petit, oubliant notre objectif premier et abandonnant à notre insu la trajectoire linéaire que nous avions planifiée. Toutefois, dans l’installation Labyrinthes, le visiteur est assujetti aux parcours qui lui sont présentés. Le fait de ne pas avoir le choix transforme le rapport au labyrinthe et évacue petit à petit la confusion liée à l’urgence de trouver une sortie. C’est alors l’expérience des multiples trajets possibles comme une fin en soi qui nous habite. Si, par ces trajets, nous n’avons accès qu’à des petits fragments de l’espace total, la répétition de ceux-ci génère un rythme et une musicalité singulière. Plutôt que de maintenir la sensation que quelque chose nous échappe, les chemins sans issus du jardin-laybrinthe de Laurent Lévesque inventent un rapport au temps et à l’espace que l’on apprivoise avec l’imaginaire.

 


 

[1] Mara Miller, « The Garden As Significant Form”, The Journal of Speculative Philosophy, Vol. II, No. 4, The Pensylvania Sate University Press, University Park and London, 1988, p.270.

[2] Ibid., p.271.

[3] Bertrand Gervais, La ligne brisée : labyrinthe, oubli, violence. Logique de l’imaginaire Tome 2., Montréal, Le Quartianier, 2008, p.15.