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IMG_8267Texte de Paule Mackrous

Avril 2016

 

En géométrie, translation signifie le glissement d’un corps d’une situation spatiale à une autre. On déplace tous les points d’un objet selon un même vecteur et celui-ci demeure identique. Du côté de la littérature, on dit que « le processus de traduction est un processus d’interprétation » et qu’« il y a aussi recréation [1]». Avec Translational Space, Santiago Tavera nous invite à méditer sur ces deux types de translations. Que reste-t-il d’une œuvre après sa traduction? Qu’est-ce qui est immuable? Qu’est-ce qui change? Et si on pouvait le représenter, à quoi ressemblerait l’espace, mental ou physique, où advient la translation?

 

Située elle-même dans un lieu de passage, soit le couloir du pôle De Gaspé, l’œuvre place le spectateur devant une forme géométrique complexe, imprimée sur la vitre. On aperçoit, en filigrane, une projection vidéo dans laquelle des volumes, des lignes et des couleurs se meuvent. À première vue, on qualifierait sans doute ces animations d’abstraites. Elles rappellent aussi bien les abstractions géométriques d’un Piet Mondrian que celles d’un Theo Van Doesburg, mais adaptées à un média et à ses spécificités (son, cinétisme, tridimensionnalité). Translational spaces est pourtant un univers fictif; j’oserais même dire qu’il est figuratif. Cet aspect se déploie dans un livre contenu dans des Q-codes disposés sur la vitrine. Chacun des Q-codes renvoie à un récit d’un lieu, d’une situation ou d’un corps dans un espace. Alors que les animations sont abstraites, les mots auxquels elles sont associées engendrent ce qu’Husserl appelle le « monde d’image ». Lorsque nous nous plongeons dans celui-ci, les choses n’apparaissent pas dans le champ visuel de la perception », mais dans un « tout autre monde qui est séparé de notre présent actuel [2]». Les récits nous font voir les formes géométriques comme des abstractions issues d’architectures, de corps ou encore de sensations.

 

Plongé dans une telle œuvre, on est habité par l’incertitude. Tel que l’écrit Tavera : « The state of uncertainty is simply the space in between where the body and the soul communicate.[…] ». L’incertitude est ici un moteur pour l’interprétation : un espace imaginaire à apprivoiser, puis à habiter. Par ses animations et ses récits, l’artiste lance des « bottles of thougths to the open sea », pour reprendre ses propres mots. Il revient alors au passant de prendre le temps de les repêcher pour faire de ses incertitudes des possibilités.

 

[1] Xu Jun (2004), « Expérience et théorisation de la traduction littéraire en Chine », Journal des traducteurs, Volume 49, no 4.

[2] Edmund Husserl (2002), Phantasia, conscience d’images, souvenirs, Paris, Jérôme Million, p.52.

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Par Paule Mackrous

 

Lors du dévoilement de la « curieuse vitrine », c’est une multitude d’objets intrigants et hétéroclites qui apparaissent. Parmi ceux-ci, des projections colorées animent des volumes géométriques. Spontanément, on se colle le nez sur la vitre comme pour entrer dans ce qui s’apparente à une petite fête foraine. On se bute irrémédiablement à la surface vitrée qui, tel un écran, rappelle que seul notre regard y est convié. Toutefois, un grand curseur pixélisé à l’avant-plan capte nos mouvements. Il dirige notre regard vers un cercle chromatique projeté sur une roue à moteur. Si l’œuvre n’est pas a priori interactive, elle n’engage pas moins d’entrée de jeu le spectateur qui, par sa présence, actionne la « roue de fortune » et fait changer les couleurs de petites lampes à l’avant-plan. Celles-ci ont été fabriquées à partir de verres coniques trouvés dans un bazar. Un peu plus loin, sur le mur, on aperçoit deux bateaux à voile fabriqués par l’artiste, inspirés d’un voyage au Maroc. Ces confections sont représentatives de la démarche créatrice à l’origine du projet de Joseph Lefèvre. L’artiste remixe, souvent de manière artisanale, différents objets, souvenirs et éléments de culture qui lui sont chers.

Au cœur de cette ambiance festive, on découvre un monde complexe où l’horreur côtoie étrangement la frivolité. Un mini théâtre, dont le rideau est retenu par une main, fait voir un montage vidéo d’une performance du groupe de féministes russes Pussy Riot. Le bricolage visuel marie l’esthétique des défilés de mode des années ’60 avec celle des cagoules des militantes. Des photos des tirailleurs sénégalais et marocains, ces hommes qu’on a recrutés dans l’Armée coloniale pour défendre la France durant la Première Guerre mondiale, sont suspendues au mur. Morts pour une nation qui n’est pas la leur et quasi absents de la mémoire collective, ils sourient ici à pleines dents. Dans un petit cadre illuminé, des crânes humains en pâte à sel sont empilés. Ils renvoient à la guerre civile cambodgienne et au génocide opérés par les Khmers rouges. La curieuse vitrine esquisse ainsi une histoire ouverte à laquelle s’ajouteront des éléments tout au long de l’exposition : une histoire fragmentée qui se situe, comme l’histoire des mentalités de Jacques LeGoff, « au point de jonction de l’individuel et du collectif, du temps long et du quotidien, de l’inconscient et de l’intentionnel [1]». C’est dans leur entrelacs, sans le principe chronologique, que les événements s’animent d’un sens renouvelé. Enfant de la ville de Verdun, là où la mémoire de la guerre s’incarne dans l’ossuaire de Douaumont[2], l’artiste nous transmet des faits d’une manière engagée, sensible et clairvoyante. Cela m’évoque lorsque Nietzsche écrivait à propos de l’histoire que, « pour comprendre bien un fait, il faut se sentir lié à lui par les liens les plus sacrés. C’est là le seul moyen d’en parler avec art.[3]»

 

[1] Jacques Le Goff. 1974. Les mentalités, une histoire ambigüe, volume III, Paris Gallimard, p.111.

[2] L’ossuaire de Douaumont réunit les tombaux des centaines de milliers de soldats en hommage aux combattants de la première guerre mondiale.

[3] Friedrich Nietzsche. 1998. Seconde considération intempestive : de l’utilité et de l’inconvénient des études historiques pour la vie, Paris, Flammarion, p.47.

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Texte de Paule Mackrous
Janvier 2016

 

C’est avec une massue et un burin dans les mains qu’Oli Sorenson lance son exposition dans la vitrine de l’Agence TOPO. Deux écrans sont placés derrière la vitre : l’un est le réceptacle du geste performatif consistant à briser l’écran en plusieurs endroits, l’autre présente la documentation des multiples configurations générées par une telle action. Entre les deux se trouvent les objets contondants utilisés par l’artiste.

D’entrée de jeu, le titre oriente l’interprétation : il s’agit d’un remix des œuvres performatives de Michelangelo Pistoletto. Dans ses performances récentes, l’artiste issu du mouvement de l’Arte Povera fracasse de grands miroirs avec à une massue. Par le miroir fragmenté, Pistoletto propose un autoportrait social révélant l’interconnexion entre les gens : « Each shard still has the same reflecting quality as the whole mirror » raconte-t-il, « so all mirrors are connected, smashed or intact, just as all humans share the same basic DNA[1]».

Tel que l’écrit Campanelli, « remix is not only allegorical, but is also dependent on history to be effective [2]». Le remix conserve en partie le sens de l’œuvre appropriée à partir duquel de nouvelles significations peuvent émerger. Sorenson s’approprie le geste qui mène à la cassure, mais troque la surface réflexive pour un écran LCD. L’effet et le message s’en voient inévitablement transformés. D’une part, le geste est attentif, contrôlé, l’artiste prenant soin de ne pas rompre la pellicule de plastique contenant les cristaux liquides. On s’éloigne ainsi de l’effet spectaculaire qu’engendre le bruit et le dispersement des éclats d’un miroir brisé violemment. D’autre part, la télévision, miroir déformant et lieu de toutes les projections identitaires, est entièrement détournée de sa fonction initiale. On ne peut plus fuir dans le monde de fiction de l’écran, on est forcés de s’attarder à sa surface, là où se sont cristallisés des petits feux d’artifice. Ce sont, en quelque sorte, les signatures de l’artiste. L’objet industriel devient unique. Par là, Video Pistoletto révèle une interconnexion profonde entre deux pulsions contradictoires qui forgent notre rapport au monde : la destruction et la création. Le geste de Sorenson donne une seconde vie à l’écran LCD, une technologie vouée, comme toutes les autres, à l’obsolescence. L’écran altéré, devenu œuvre d’art, trouvera idéalement sa place chez un collectionneur plutôt que dans un dépotoir.

Oli Sorenson reviendra avec son burin et sa massue plusieurs fois durant l’exposition pour laisser ses empreintes lumineuses et faire apparaitre les qualités intrinsèques de l’objet. Ce geste transformateur et conscient des enjeux environnementaux actualise de manière percutante la célèbre formule de Debord : « Nous ne voulons plus travailler au spectacle de la fin du monde, mais à la fin du monde du spectacle ».

 

[1] Jonathan Jones, « Michelangelo Pistoletto : the Artist With a Smashing Way to Save the World », The Guardian, 28 Mai 2014, tiré de http://www.theguardian.com/artanddesign/2014/may/28/pistoletto-arte-povera-mirror-smasher-eco-houses-interview

[2] Vito Campanelli, Web Aesthetics : How Digital Media Affect Culture and Society, Institute of Network Cultures, Rotterdam, 2010, p. 163.

 

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                                                                                                                                             Texte de Paule Mackrous

 

Un quintette s’active derrière la vitrine. Il est formé de cinq écrans juchés sur des trépieds, à hauteur humaine. On le regarde. Il nous regarde aussi, en quelque sorte, alors que la vitrine nous renvoie notre propre reflet. On définit le quintette comme un ensemble de cinq chanteurs ou musiciens, mais aussi comme une écriture musicale à cinq parties solistes. Avec METAFIVE, Steve Heimbecker met en scène ces deux aspects du quintette tout en les transcendant, offrant un poème en mouvement qui envoute.

Chaque fond d’écran est coloré d’un rouge distinct assurant la singularité des figures anthropomorphiques. La différence de tonalité est subtile, consolidant du même coup l’effet d’unicité de ce petit orchestre qui « joue des mots », littéralement.

À l’occasion d’une performance antérieure ayant pour titre Ripaliper, l’artiste avait rédigé des centaines de jeux de mots sur des cartons. Remixés pour METAFIVE, ils apparaissent successivement et de manière asynchrone sur les cinq écrans. Oscillant entre l’écriture et le dessin, les notes manuscrites dépeignent le rapport au monde et à l’art vécu par l’artiste. On peut rester longuement attaché à l’une d’entre elles, réfléchir sur ses significations. On peut aussi lire les notes d’un écran à l’autre, les envisager comme des « cadavres exquis » et chercher leurs intrications improbables.

Seul le visiteur attentif remarquera que les jeux de mots ne sont pas codés seulement au niveau sémantique : ils renferment un système de notation. Chaque lettre de l’alphabet est associée à une note de la gamme de b mineur. Les mots sont joués simultanément par deux violoncelles, deux pianos et une contrebasse.

L’infrarouge qui devait détecter la présence des visiteurs afin d’activer l’oeuvre n’a pas passé l’épreuve de la vitrine qui la protège. Cela change-t-il vraiment quelque chose? L’interactivité de METAFIVE ne repose pas exclusivement sur ce mécanisme action-réaction. Elle s’en remet bien au contraire sur une mise en branle de notre imagination : là est le véritable déclenchement de l’oeuvre. L’aspect génératif, programmé, est aussi renvoyé du côté du visiteur. C’est lui qui génère les liens entre les mots et, aussi, avec les sons. L’illusion de réseau entre les solistes automates est renforcée par ces mêmes liens imaginés.

La mélodie est inquiétante, dissonante et ses tonalités mineures créent une atmosphère mélancolique. Trop souvent perçue comme un trouble mental ou un état dépressif, la mélancolie est entendue ici dans son sens positif. Aristote croyait qu’elle était l’état par excellence des hommes d’exception. Au Moyen-Âge, elle représente « l’attribut de ceux qui ont le désir de savoir, de méditer, de réfléchir [1]». Voilà ce à quoi nous convie ce concerto infini sur l’art, le monde et le travail de l’artiste : savoir, méditer, réfléchir.

[1] Ursulla Garrigue, « La mélancolie dans l’art », Société, vol4, no. 86, 2004, p.134.

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Par Paule Mackrous

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On représente la plupart du temps la surveillance par une sorte d’anthropomorphisme : c’est l’humain qui surveille l’autre humain par le truchement d’un dispositif. Or, dans leur article « Invisible Surveillance in Visual Arts [1]» (2012), Katherine et David Barnard-Wills démontrent que nous vivons dans une ère de la dataveillance. Celle-ci est définie comme l’« utilisation systématique de nos systèmes de données personnelles dans le but de surveiller ou de contrôler les actions d’une ou plusieurs personnes [2] ». Si les auteurs de ce brillant article voient une opposition entre la surveillance du corps et celle des données, l’œuvre make-A-move de Pat Badani réconcilie ces deux aspects et aborde, par là, la complexité des enjeux liés à la surveillance.

Deux visages sur des écrans encastrés dans un mur rouge réagissent au passage des visiteurs et travailleurs de l’immeuble du Pôle de Gaspé. La vitrine n’est plus cet espace conçu afin de rendre visible, depuis la voie publique, ce qui se déroule à l’intérieur d’un commerce ou d’une galerie. Opaque, elle sculpte désormais l’espace public lui-même avec les regards curieux, apeurés ou discrets des visages qui occupent sa surface. Ce sont alors les visiteurs qui se retrouvent dans le grand aquarium que représente l’espace public sous l’égide de la surveillance. Les senseurs captent notre présence et nos mouvements ; ils réagissent plus fortement à certaines couleurs de vêtement. Le captage de nos données, par sa dimension cachée, entraine ce que Georgio Agamben appelle la désubjectivation[3]. Il vise à contrôler l’être humain plutôt qu’à créer de nouvelles subjectivités. Seulement, ici, l’animation des portraits photographiques, par son caractère saccadé et répétitif, ne leurre pas : nous savons qu’il y a là un processus technologique, voire algorithmique. Le dispositif rendu en partie visible permet de nous amuser avec celui-ci en nous approchant ou en nous éloignant de lui. On peut lui échapper, aussi. Bref, il nous permet de tester ses limites. Ainsi, nous découvrons que les regards ne peuvent traquer qu’une personne à la fois et qu’ils privilégient la proximité. Nous devinons que le reflet de la vitre parasite le bon fonctionnement du dispositif. Ce sont précisément ces « failles » qui incitent à la participation ; cette participation qui, pour paraphraser le critique américain Howard Rheingold, est un véritable antidote au contrôle et à la surveillance[4].

Avec make-A-move, c’est le potentiel créatif et ludique de la surveillance qui est mis en scène. La possibilité d’une subjectivité au sein de ce processus est, quant à elle, ravivée par les portraits en gros plan et la distance intime qu’ils imposent. Par cette œuvre participative, Pat Badani nous convie à penser la surveillance comme quelque chose qui peut être réapproprié afin de façonner un espace public à l’avantage de ses multiples singularités.

 

[1] Katherine et David Barnard-Wills (2012). « Invisible Surveillance in Visual Art », Surveillance & Society, UK, no10, pp.204-214.

[2] Traduction de l’auteure. Ibid., p.206

[3] Agamben, Giorgio. (2006). Qu’est-ce qu’un dispositif? Paris : Payot

[4] Roland Piquepaille. (2006). « Howard Rheingold About Our Mobile World », ZDNet, http://www.zdnet.com/article/howard-rheingold-about-our-mobile-world/, consulté le 11 novembre 2015.