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Daniel Iregui, Close Far Away

Paule Mackrous

 

À l’intérieur de la vitrine : de la lumière, des volumes, des couleurs. À sa surface, une grille oriente le regard vers un point focal; c’est le point de vue idéal suggéré par l’artiste pour appréhender son œuvre Close Far Away. En son centre, on y expérimente une image tridimensionnelle en mouvement, une image sonore aussi, au cœur de laquelle aucune cristallisation ne saurait satisfaire un désir de saisissement.

Difficile de ne pas penser à l’histoire de la peinture ici, de la Renaissance italienne au minimalisme américain en passant bien sûr par l’art numérique. L’image comporte un « temps complexe », écrivait Georges Didi-Huberman, ses mouvements nous obligent à la « penser comme un moment énergétique ou dynamique [i]». Cette particularité de l’image est exacerbée par le fait que la lumière, changeante, en devient le principal matériau. Comme chez les peintres flamands et néerlandais, la maitrise de la lumière et de ses contrastes permet à l’artiste de générer des vecteurs, des mouvements et des couleurs. Ceux-ci ne se sédimentent qu’en apparence pour faire apparaitre momentanément des formes géométriques, façonnant un espace indéfini. Le travail d’Iregui engendre des « états visuels particuliers », pour reprendre une expression de Donald Judd, en ce qu’il attire l’attention sur le registre de la plasticité. Celui-ci se définit comme « l’organisation de la perception » tout juste avant que vienne la « nomination, par analogie, de cette perception [ii]». Autrement dit, c’est l’expérience du monde avant que vienne l’identification de ses objets. On croirait y entendre raisonner les mots de l’architecte Mies Van Der Roe qui, avec son « Less is More », cherchait à créer des espaces empreints de neutralité, voués à la contemplation. Ce sont également les œuvres minimalistes d’un Malevitch évoquant le caractère infini de l’espace, aussi bien que les sculptures lumineuses in situ de Dan Flavin et son entreprise de dématérialisation de l’espace qui viennent à l’esprit.

Le brouillard, généré à l’aide d’une machine qui projette de la fumée à l’intérieur de la vitrine, insuffle aux surfaces lumineuses du volume, de la texture, de la vie. Ce brouillard rappelle également le sfumato de Léonard de Vinci, une notion vague et volontairement imprécise utilisée par les peintres de la Rennaissance. Selon Alexandre Nagel, « Sfumato describes not merely the appearance of smoke but its disappearance, its imperceptible diffusion in the atmosphere. [iii]» Entre apparition et disparition, le sfumato permet d’atténuer la rigidité de la grille de la perspective linéaire, d’aller au-delà de la rencontre entre la géométrie euclidienne et de la grille cartésienne. S’il représente un savoir-faire chez les peintres de la Renaissance, le sfumato est aussi une manière de voir ou un effet : celui de l’opacité. Qui dit opacité, dit mystère, insaisissabilité. La densité de la fumée, illuminée par les projections et sculptée par leur point de fuite, montre que ce qui se trouve devant nous est à la fois tout près et si loin en même temps (et vice versa). Ainsi, au fil de son expérience, Close Far Away déjoue l’esprit, l’œuvre nous détourne de cette recherche de reconnaissance qui normalement nous propulse devant toute représentation. De l’état visuel, on passe à un état intérieur, méditatif, capable d’accueillir aussi bien l’insaisissable que l’impermanence.

 

[i] Georges Didi-Huberman, L’image survivante : Histoire de l’art et temps des fantômes, Paris, Minuit, 2002, p.45.

[ii] Catherine Saouter, Le langage visuel, Montréal, Éditions XYZ, 2000, p.23.

[iii] Alexandre Nagel, « Leonardo and Sfumato », RES : Anthropology and Aesthetics, No.24 (Autumn, 1993), p.7.

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Stratotype digital-ien – Isabelle Gagné

Texte par Paule Mackrous

 

Crédit photo : Isabelle Gagné

 

Au fond de la vitrine : un paysage aux couleurs et aux formes familières comporte de multiples horizons. Les écrans latéraux laissent imaginer le processus de transformation d’une photographie originale. Jumelée avec d’autres images trouvées sur Google selon une reconnaissance visuelle géomorphologique, la photographie se stratifie et devient « œuvre ». On invite à son tour le passant à sélectionner une photographie de paysage québécois parmi les siennes et à la téléverser sur le site web stratotype.ca. Il la verra quasi immédiatement se transformer dans le grand écran derrière la vitrine. Dans son petit écran, il est libre de la partager à sa guise.

Selon le philosophe Villem Flusser, personne ne pense nécessaire de déchiffrer la photographie parce que tout le monde croit savoir comment en faire. On cadre, on zoome et on oublie l’appareil ou le « black box » pour reprendre les mots de l’auteur[i]; on adopte ainsi l’idée que seul notre regard forge le point de vue que l’on a « choisi ». Pourtant, c’est aussi le dispositif, son histoire et la composition des images précédentes qui fabriquent ce que nous percevons comme un fragment de réel. C’est vers cette inévitable construction du regard photographique que le Stratotype digital-ien d’Isabelle Gagné attire notre attention.

Les images modifiées orientent notre regard à leur surface où nous expérimentons leurs qualités purement formelles. Si les vecteurs horizontaux sont accentués par la démultiplication du panorama, les vecteurs verticaux sont quant à eux soulignés par ce qui ressemble à des dégoulinures. Les images ainsi composées pointent vers les ressemblances avec les autres photographies de paysage. Au fil de l’expérience, ce sont des points de vue sur la nature qui émergent et qui convergent pour former un rapport au monde propre au médium photographique.

Si, d’un point de vue formel, l’image ramifiée déconstruit « l’œil unique [ii]» que suppose la vision perspectiviste de la photographie, au niveau sociologique, cette démultiplication interroge inévitablement l’origine et l’appartenance de l’image. Une fois téléversée, elle n’est ni la propriété du passant ni celle des utilisateurs du web dont les images apparaissent dans le moteur de recherche. Si l’on peut attribuer le résultat des transformations à l’artiste, c’est parce que, dans le flux et le côtoiement, les images se dotent d’une facture singulière. Cette signature est aussi le fruit du code créé par le programmeur, en l’occurrence Paul Gascou-Vaillancourt. Ainsi, le Stratotype digital-ien nous rappelle que l’image est, avant toute chose, une rencontre.

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[i] Villem Flusser. (2000). Towards a Philosophy of Photography. Reaktion Book. p.26

[ii] Erwin Panofky. (1975). La perspective comme forme symbolique. Paris. Minuit. p.42.

 

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TOPO offre en location son espace de production au 6e étage du 5445 de Gaspé pour des projets ponctuels, artistiques, professionels et événementiels. 

Le local comprend un espace principal de 1200 pi2 et un studio semi-fermé (adjacent à l’espace principal) de 265 pi2.
Accès internet, eau courante et cuisinette (frigo et mini-four) et espace de rangement. 
Accès à rapide à un monte-charge, un atelier de menuiserie et restaurant au rez-de-chaussée. Édifice accessible 24/7. 

Possibilité d’emprunter des équipements de base (son, éclairage, projection, photo, vidéo, rideaux de scène et petite scène). 

 

Pour voir une liste détaillée des équipements disponibles : 
www.agencetopo.qc.ca/wp/topo/equipements

Le prix et les conditions d’occupation sont à discuter.

 

Pour plus d’informations :

514 279-8676
direction@agencetopo.qc.ca

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Cabinets de curiosités – La fête

Cabinets_V2

Exposition en vitrine du 2 juin au 28 juin 2016.
Centre Wellington, 4932 Rue Wellington
Projet de création avec les artistes de TOPO, du Centre Wellington et du STUDIO jocool.
Soutenu par le programme culture et communauté de la Ville de Montréal.
www.AgenceTOPO.qc.ca/cabinets

 

Un cabinet de curiosités est un lieu où sont regroupés des objets choisis et disposés avec soin pour illustrer un thème, une histoire…

Pour sa deuxième édition, les artistes des cabinets se sont regroupés sous la thématique de La fête pour proposer une expérience visuelle et médiatique alliant le dessin, la sculpture, le slam, le street art, la vidéo et l’animation. Animés par cette idée, d’une « ride de bus », on vous convie à venir vivre l’expérience physique et sur le web, de ce phénomène de société où l’on est une multitude d’individualités unies les unes aux autres, souvent par défaut. Venez découvrir comment cohabitent ces différents univers intimes dans une installation collective multidisciplinaire.

L’art comme prétexte aux échanges

Pour la deuxième édition du projet Cabinets de curiosités la création était à son maximum ! Les coups de crayon fougueux d’Yves côtoyaient les mots rythmés de l’artiste invitée Marie Dauverné. Cette dernière a su partager sa passion du slam à travers divers ateliers d’écritures poétiques. Les sculptures intimistes de Philippe nous ont donné accès à des mondes fantastiques faisant échos à certaines histoires intimes abordées par le cinéaste Pierre Goupil, invité pour une présentation de son film Il ventait derrière ma porte. La pluralité des créations de Sylvie et Manon s’entremêlaient aux animations et aux textes touchants de Nathalie. Le papier mâché et la farine se sont envoyés en l’air entre les mains de Roger, Gustavo et Nicole. L’esprit vif d’Alex nous a fait redécouvrir le monde du jeu vidéo et la grande créativité de Johanne nous a transporté dans un univers sonore inédit. Avec l’arrivée du printemps, l’espace de création a accueilli l’artiste Fléo le temps de quelques ateliers de streetart où le airbrush et les canettes aérosols ont coloré l’espace.

Cette seconde année est certes celle de l’explosion des talents et de la diversité, mais elle est surtout celle d’un plaisir d’être ensemble. En prenant la création comme prétexte aux rencontres et aux discussions, c’est une ouverture sur soi et vers l’autre que nous avons la chance de partager. Une expérience riche et humaine qui se poursuit sur le web.

Par la mise en vitrine, nous entendons aussi la création de ce site internet qui vient donner une pérennité à ce travail effectué par les usagers du Centre Wellington avec les artistes médiateurs José Cortes Castillo et Gabrielle Lajoie-Bergeron, de février à mai 2016. La direction artistique est assurée par Joseph Lefèvre soutenu à la réalisation par Paul Gascou-Vaillancourt et Fabiola Kopanski. 

Ce projet a bénéficié du soutien de la Division de la culture, des bibliothèques et du développement social de l’arrondissement de Verdun et du programme Culture et communauté de la Ville de Montréal, dans le cadre de l’Entente sur le développement culturel entre la Ville de Montréal et le ministère de la Culture et des Communications du Québec.

À travers l’ensemble des activités, les participants ont eu l’occasion de s’exprimer de façon créative tout en s’initiant aux arts visuels à travers un travail de création collective.

Consultez notre chaîne YouTube pour voir l’ensemble des vidéos Cabinets de curiosités II

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Paule Mackrous

Au centre de la vitrine, des petites personnes de tailles diverses se tiennent debout, dans le noir, papier en main. Le spectateur familier avec la scène de la poésie québécoise reconnaîtra sans doute quelques figures lisant des extraits de leur poème. Si le titre de l’œuvre annonce un chœur, c’est à tour de rôle que chacune récite ses vers. Lors des lectures, une bande sonore créée par un artiste audio jumelé avec le poète se déclenche. Des vidéos originales et des animations typographiques sont également générées. Ces dernières réagissent aux modulations de la voix des protagonistes, formant des constellations de lettres, de mots, qui glissent sur le plancher et attirent notre attention au cœur de la vitrine et sur les textes.

L’effet est d’abord surréel : les projections vidéo des corps sur les prismes triangulaires donnent l’impression que ce sont des hologrammes. La vitrine devient alors un castelet, un petit théâtre dissimulant le metteur en scène et ce qui anime les personnages, c’est-à-dire le logiciel, l’algorithme, l’artiste. La puissance de l’œuvre réside dans cet effet de présence des poètes dont l’existence scénique est très minimale. En effet, ceux-ci, pratiquement immobiles, sont confinés à un espace défini. Plus petits que nature, ils intriguent; ils fascinent. On les dirait venus d’un autre monde pour nous transmettre un message important. Tel que l’écrivait la poétesse Roswitha de Gandersheim en s’adressant à une petite marionnette, la présence réelle ou la grandeur nature n’offriraient pas le même effet : « une marionnette comme vous y surpassera toutes les actrices de chair. Vous êtes toute petite, mais vous paraitrez grande parce que vous êtes simple. Tandis qu’à votre place une actrice vivante semblera petite [1]».

Si les petits personnages s’apparentent à des créatures imaginaires, artificielles, on n’assiste pas pour autant à un « procès de déshumanisation contre l’interprète vivant [2] ». La programmation morcèle les lectures sans transformer le poète en mécanique docile ou en pantin désincarné. Il conserve sa singularité, sa voix, ses inflexions, sa posture et, surtout, ses propres mots. Les traces de son intériorité sont bel et bien présentes et contribuent grandement à l’expérience de l’œuvre.

Le castelet de Simon Dumas et Mickaël Lafontaine crée ainsi un support physique à la poésie, un espace scénique à échelle réduite où peuvent se rencontrer les textes comme les corps des poètes. Au contact de cet espace, le spectateur tisse peu à peu des liens entre les idées, les expériences, les sentiments qui émergent des soliloques. C’est dans ce tissage que le chœur advient.

[1] Didier Plassard, L’acteur en effigie, Lausanne, Éditions l’âge d’homme, 1992, p.32.

[2] Ibid. p. 20

 

 

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Paule Mackrous

Dans la vitrine de TOPO, cent livres sont disposés sur des étagères. Ce sont toutes des œuvres d’écrivaines sélectionnées par des personnes s’identifiant comme femmes, trans ou queers. Assise sur une chaise, à l’intérieur du « bocal », l’artiste accueille ses invitées qui, tour à tour, offrent leur voix aux textes qu’elles ont choisis. Les entretiens et les lectures sont retransmis en direct, par webdiffusion, avant d’être archivés.

Bien plus qu’une simple liste de livres thématiques qu’on placerait à la fin d’un ouvrage, indexE de Sarah Chouinard-Poirier crée une situation de rencontres entre les œuvres, le public, les collaboratrices et l’artiste. Prenant l’aspect d’un studio de radio, la vitrine offre un espace pour la mise en place d’un réseau se consolidant au fil des discussions, des extraits de livres et des liens entre les ouvrages. La vitrine, vivante et aux multiples ramifications, donne l’impression que l’on a traduit le web dans le monde sublunaire.

Cette « délocalisation », qui consiste à transposer les modalités d’un média dans un autre ou dans le monde, génère une réflexion sur les modes d’action du média approprié. En déplaçant ceux-ci, on « les rend davantage visibles » et cela nous permet « de les envisager jusque dans leurs conséquences sur la vie quotidienne [i]». À cet égard, on sait que, sur le web, ce sont les œuvres les plus citées, les plus discutées et les plus référencées qui auront une plus grande visibilité. C’est à partir de tels critères d’indexation que l’échelle de valeurs des moteurs de recherche est générée. indexE nous rappelle ainsi que nos actions en réseau ont un certain pouvoir sur le rayonnement des œuvres littéraires.

Mais ce n’est pas suffisant!

Au-delà de cet aspect technique, ce qu’indexE met en scène, ce sont les processus de légitimation sans lesquels les œuvres sont vouées rapidement à l’oubli. Le sujet est encore d’actualité : les écrivaines sont moins représentées au sein des médias, des prix littéraires et des cours universitaires. Ainsi, c’est une sorte d’Index librorum prohobitum [ii] que nous présente Sarah Chouinard-Poirier, car il y a bel et bien un interdit entourant les œuvres littéraires écrites par des femmes : c’est celui d’être qualifiées de « grandes œuvres ». Refusant de subir les processus de légitimation et leurs instruments idéologiques, l’artiste s’approprie leur modalité afin de contribuer à rétablir un équilibre. Son œuvre, elle-même légitimée par le mécanisme de sélection du centre d’artistes, met en place un lieu, un réseau, une tribune et une archive qui, en marge des processus de légitimation existants, contribuent à garder les œuvres littéraires des femmes vivantes.

 

[i] Il s’agit d’un catalogue de livres interdits, car jugés immoraux par l’Église catholique.
[ii] Bourriaud, Nicolas. (2005). Postproduction. Culture as Screeplay : How Art Reprograms the World. New-York : Lukas & Sternberg.