21 décembre 2015

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                                                                                                                                             Texte de Paule Mackrous

 

Un quintette s’active derrière la vitrine. Il est formé de cinq écrans juchés sur des trépieds, à hauteur humaine. On le regarde. Il nous regarde aussi, en quelque sorte, alors que la vitrine nous renvoie notre propre reflet. On définit le quintette comme un ensemble de cinq chanteurs ou musiciens, mais aussi comme une écriture musicale à cinq parties solistes. Avec METAFIVE, Steve Heimbecker met en scène ces deux aspects du quintette tout en les transcendant, offrant un poème en mouvement qui envoute.

Chaque fond d’écran est coloré d’un rouge distinct assurant la singularité des figures anthropomorphiques. La différence de tonalité est subtile, consolidant du même coup l’effet d’unicité de ce petit orchestre qui « joue des mots », littéralement.

À l’occasion d’une performance antérieure ayant pour titre Ripaliper, l’artiste avait rédigé des centaines de jeux de mots sur des cartons. Remixés pour METAFIVE, ils apparaissent successivement et de manière asynchrone sur les cinq écrans. Oscillant entre l’écriture et le dessin, les notes manuscrites dépeignent le rapport au monde et à l’art vécu par l’artiste. On peut rester longuement attaché à l’une d’entre elles, réfléchir sur ses significations. On peut aussi lire les notes d’un écran à l’autre, les envisager comme des « cadavres exquis » et chercher leurs intrications improbables.

Seul le visiteur attentif remarquera que les jeux de mots ne sont pas codés seulement au niveau sémantique : ils renferment un système de notation. Chaque lettre de l’alphabet est associée à une note de la gamme de b mineur. Les mots sont joués simultanément par deux violoncelles, deux pianos et une contrebasse.

L’infrarouge qui devait détecter la présence des visiteurs afin d’activer l’oeuvre n’a pas passé l’épreuve de la vitrine qui la protège. Cela change-t-il vraiment quelque chose? L’interactivité de METAFIVE ne repose pas exclusivement sur ce mécanisme action-réaction. Elle s’en remet bien au contraire sur une mise en branle de notre imagination : là est le véritable déclenchement de l’oeuvre. L’aspect génératif, programmé, est aussi renvoyé du côté du visiteur. C’est lui qui génère les liens entre les mots et, aussi, avec les sons. L’illusion de réseau entre les solistes automates est renforcée par ces mêmes liens imaginés.

La mélodie est inquiétante, dissonante et ses tonalités mineures créent une atmosphère mélancolique. Trop souvent perçue comme un trouble mental ou un état dépressif, la mélancolie est entendue ici dans son sens positif. Aristote croyait qu’elle était l’état par excellence des hommes d’exception. Au Moyen-Âge, elle représente « l’attribut de ceux qui ont le désir de savoir, de méditer, de réfléchir [1]». Voilà ce à quoi nous convie ce concerto infini sur l’art, le monde et le travail de l’artiste : savoir, méditer, réfléchir.

[1] Ursulla Garrigue, « La mélancolie dans l’art », Société, vol4, no. 86, 2004, p.134.