4 février 2016

 

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Texte de Paule Mackrous
Janvier 2016

 

C’est avec une massue et un burin dans les mains qu’Oli Sorenson lance son exposition dans la vitrine de l’Agence TOPO. Deux écrans sont placés derrière la vitre : l’un est le réceptacle du geste performatif consistant à briser l’écran en plusieurs endroits, l’autre présente la documentation des multiples configurations générées par une telle action. Entre les deux se trouvent les objets contondants utilisés par l’artiste.

D’entrée de jeu, le titre oriente l’interprétation : il s’agit d’un remix des œuvres performatives de Michelangelo Pistoletto. Dans ses performances récentes, l’artiste issu du mouvement de l’Arte Povera fracasse de grands miroirs avec à une massue. Par le miroir fragmenté, Pistoletto propose un autoportrait social révélant l’interconnexion entre les gens : « Each shard still has the same reflecting quality as the whole mirror » raconte-t-il, « so all mirrors are connected, smashed or intact, just as all humans share the same basic DNA[1]».

Tel que l’écrit Campanelli, « remix is not only allegorical, but is also dependent on history to be effective [2]». Le remix conserve en partie le sens de l’œuvre appropriée à partir duquel de nouvelles significations peuvent émerger. Sorenson s’approprie le geste qui mène à la cassure, mais troque la surface réflexive pour un écran LCD. L’effet et le message s’en voient inévitablement transformés. D’une part, le geste est attentif, contrôlé, l’artiste prenant soin de ne pas rompre la pellicule de plastique contenant les cristaux liquides. On s’éloigne ainsi de l’effet spectaculaire qu’engendre le bruit et le dispersement des éclats d’un miroir brisé violemment. D’autre part, la télévision, miroir déformant et lieu de toutes les projections identitaires, est entièrement détournée de sa fonction initiale. On ne peut plus fuir dans le monde de fiction de l’écran, on est forcés de s’attarder à sa surface, là où se sont cristallisés des petits feux d’artifice. Ce sont, en quelque sorte, les signatures de l’artiste. L’objet industriel devient unique. Par là, Video Pistoletto révèle une interconnexion profonde entre deux pulsions contradictoires qui forgent notre rapport au monde : la destruction et la création. Le geste de Sorenson donne une seconde vie à l’écran LCD, une technologie vouée, comme toutes les autres, à l’obsolescence. L’écran altéré, devenu œuvre d’art, trouvera idéalement sa place chez un collectionneur plutôt que dans un dépotoir.

Oli Sorenson reviendra avec son burin et sa massue plusieurs fois durant l’exposition pour laisser ses empreintes lumineuses et faire apparaitre les qualités intrinsèques de l’objet. Ce geste transformateur et conscient des enjeux environnementaux actualise de manière percutante la célèbre formule de Debord : « Nous ne voulons plus travailler au spectacle de la fin du monde, mais à la fin du monde du spectacle ».

 

[1] Jonathan Jones, « Michelangelo Pistoletto : the Artist With a Smashing Way to Save the World », The Guardian, 28 Mai 2014, tiré de http://www.theguardian.com/artanddesign/2014/may/28/pistoletto-arte-povera-mirror-smasher-eco-houses-interview

[2] Vito Campanelli, Web Aesthetics : How Digital Media Affect Culture and Society, Institute of Network Cultures, Rotterdam, 2010, p. 163.