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Géoweb : création de nouvelles géographies
Texte de Sylvie ParentLe développement du web géographique ou géoweb est lié à l’évolution des outils de cartographie et de visualisation terrestre dans l’environnement numérique1. Accessibles, faciles d’emploi et polyvalentes, ces technologies ont favorisé l’épanouissement d’un réseau géographiquement augmenté. La popularité des appareils de géolocalisation par GPS et leur utilisation dans les contextes les plus variés ont aussi contribué à l’intégration des données géographiques dans l’univers numérique et à la croissance du géoweb.

Le géoweb est un phénomène culturel et social qui s’est défini en dehors des milieux spécialisés. Autrefois limité à la simple consultation, tout individu a désormais la possibilité de créer et de diffuser ses propres cartes géographiques, de générer des données géolocalisées, de les assimiler à des contenus de toutes sortes et de les partager avec l’ensemble des utilisateurs. De domaine d’étude fondé sur des informations de sources officielles et réservé aux spécialistes, la géographie est devenue en quelque sorte une affaire personnelle, un moyen d’expression de l’individualité.

Les applications composites, ou « mash-up », qui combinent des éléments de sources multiples, ont vu le jour très rapidement et se sont multipliées à un rythme effréné. Elles sont en grande partie responsables de la diversité et de la quantité des contenus géographiques diffusés sur le web2. Elles enrichissent de géo-données les contenus du web et organisent l’information géographiquement en associant des outils et des informations hétérogènes. Les croisements et superpositions qui en résultent ont pour effet de charger toujours davantage le géoweb.

La croissance du géoweb est aussi attribuable au contexte du Web 2.0. Les sites de partage de fichiers et les réseaux sociaux dynamisent le renouvellement des informations en favorisant la formation de communautés autour d’intérêts géolocalisés. La convergence des données collaboratives dans cet environnement encourage fortement la création de géographies collectives.

Le géoweb a pris une envergure considérable grâce aux conditions technologiques exposées brièvement ici. Mais comment expliquer un tel phénomène à sa base, une telle volonté de situer, un pareil engouement pour la localisation? En d’autres termes, pourquoi ces technologies ont-elles trouvé une telle adhésion, en quoi répondent-elles à des besoins plus fondamentaux? Dans l’environnement numérique où les repères spatiaux deviennent flous, la géolocalisation atteste d’un ancrage bel et bien physique et procure une certaine impression d’emprise sur l’espace. De plus, s’il est vrai que la localisation exprime peu en soi, elle éveille néanmoins des associations spatiales qui rejoignent l’individu jusque dans son identité. En effet, à lui seul le nom d’un lieu peut évoquer une expérience, un espace éprouvé ou imaginé. La volonté de situer est liée au désir d’appartenir au monde.

Bien entendu, les artistes ont rapidement été interpellés par le géoweb et l’ont exploré en tirant parti des technologies mises à leur disposition et en apportant un point de vue critique sur ce phénomène. Les récits de voyage en ligne avec leurs extensions géographiques ne se comptent plus, les cartes fantaisistes et atypiques abondent, et les projets de médias localisés, élaborés collectivement à l’aide d’appareils GPS et de plateformes mobiles, ont suscité beaucoup d’intérêt dans le milieu artistique des nouveaux médias ces dernières années3.

Ce projet est né de l’intérêt démontré par la communauté artistique pour le géoweb. Les quatre œuvres réunies ici ont été réalisées au cours de la dernière année dans le cadre de résidences de production à l’Agence TOPO. Circulation de Grégory Chatonsky, GeoTag de Cheryl Sourkes, Public Address System de Zahra Poonawala et Spectrum Survey de Matthew Biederman forment un ensemble très diversifié; par contre, les perspectives qu’elles apportent sur le géoweb et leur propre incursion dans ce domaine se rejoignent sur plusieurs points.

Le projet de Cheryl Sourkes mise sur le désir d’extension spatiale de l’individu, sur l’attrait du lointain et du déplacement. Dans GeoTag, le spectateur met à l’épreuve le télescopage spatial qui caractérise l’expérience du web, le fait d’être situé dans un endroit tout en ayant accès à un autre lieu éloigné4. Invité à prendre part à un jeu composé de vidéos obtenues de webcams situées en divers points du monde, le spectateur effectue ainsi un « voyage » fait d’étapes, constitué d’éléments géographiquement distants. Au fur et à mesure, le visiteur redistribue à sa guise, comme s’il s’agissait de cartes postales sur l’écran, les diverses vidéos interconnectées. Tandis qu’il progresse dans le jeu, l’artificialité des liens créés entre ces lieux et le caractère décousu de l’expérience se font sentir.

De plus, les données géographiques liées à l’adresse IP apparaissant au coin gauche de l’écran identifient la localisation du spectateur et contribuent à aiguiser cette conscience géographique. Cette prise de conscience se poursuit dans le Centre des visiteurs où l’internaute pourra se rendre compte qu’il a laissé sa trace. En ayant recours à ces procédés, le projet mise également sur les comportements de voyeurisme et d’exhibitionnisme, les outils géographiques devenant de nouveaux moyens pour leur laisser libre cours.

Spectrum Survey de Matthew Biederman propose un ensemble de promenades urbaines qui révèlent le paysage électromagnétique. Comme d’autres projets de médias localisés, celui-ci s’élabore en deux étapes, soit la cueillette de données (captation vidéo, lecture GPS et diverses mesures du spectre) et la publication de celles-ci sur le web. Contrairement aux applications composites qui ont vu le jour ces dernières années, qui fusionnent outils géographiques et contenus dans une même interface graphique unifiée, Spectrum Survey fait preuve d’un déploiement transparent des moyens et des résultats liés à cette collecte. En effet, dans l’interface tripartite, ces représentations sont disposées une à côté de l’autre, exposées de façon directe et frontale. De plus, les données sont rendues accessibles à qui bon souhaite en faire un autre usage, quel qu’il soit.

Les mesures du champ électromagnétique s’affichent dans des graphiques interactifs invitant le spectateur à considérer ces données autrement imperceptibles. Il peut ainsi consulter les points synchronisés sur la carte et/ou la vidéo pour examiner plus précisément les lieux affichant des irrégularités et variations dans les courbes. Le projet encourage le spectateur à s’éveiller au monde qui l’entoure au-delà du perçu. Un des aspects critiques du projet consiste à rendre accessible et faire connaître le spectre électromagnétique alors que des intérêts commerciaux se le disputent férocement. Avec ce projet, Biederman affirme son parti pris pour les outils de source libre et le partage des données.

Les contenus localisés présentés dans Public Address System de Zahra Poonawala sont des vidéos de haut-parleurs situés en divers points de la planète. Grâce à la participation de quelques collaborateurs, l’artiste a bâti une collection de ces vidéos pour constituer une base de données pouvant être consultée et augmentée par les utilisateurs. Par le moyen d’un engin de recherche ou d’une carte géographique schématisée, le spectateur prélève les fragments de son choix et les enchaîne les uns aux autres. Il finit par constater les usages universels de ces appareils, au-delà des différences culturelles.

On retrouve ces haut-parleurs juchés sur fond de ciel, fixés au mobilier urbain, comme des personnages autoritaires. Leurs ouvertures béantes, comme de grandes bouches, livrent des messages d’intérêt public à la collectivité immédiate. La communication à sens unique qu’ils livrent demeure le plus souvent impersonnelle. De moyen de communication primitif, ces haut-parleurs deviennent pareils à des instruments sonores grâce à l’outil de lecture proposé par l’artiste. Ils s’engagent dans des séquences personnalisées par l’utilisateur et chaque clip devient alors un segment dans une partition que le spectateur créera et fera jouer selon son propre désir.

Dans Circulation de Grégory Chatonsky, les outils géographiques employés par l’artiste appartiennent au monde souterrain du projet et demeurent invisibles dans leur forme première. Le spectateur perplexe assiste au dialogue syncopé entre un homme et une femme, ne sachant trop quels moyens sont déployés pour afficher cet échange. Les vidéos montrent les personnages qui s’expriment par de courts énoncés et une relation s’établit entre eux, hésitante, alimentée par les événements imprévisibles issus du web. Avec ce projet, l’artiste exploite les ressources fluctuantes du réseau au profit de nouvelles formes narratives comme il l’a fait dans plusieurs travaux récents5.

L’application composite conçue par Chatonsky se nourrit de fils RSS géolocalisés dédiés à la circulation routière, les informations qu’ils diffusent en continu étant jumelées à des fragments vidéo correspondants. Circulation pousse à l’extrême l’utilisation des géo-données dans les contextes les plus inattendus, jusqu’à les dénaturer complètement. En ayant recours à ces dispositifs, l’artiste prend le parti de s’associer à une source changeante qui échappe à son contrôle de telle sorte que l’inattendu se manifeste à son tour dans le récit.

À l’heure actuelle où la localisation a fait la conquête du web et que le contenu du réseau est devenu de plus en plus contextualisé, ces projets artistiques investissent le géoweb en offrant des expériences alternatives. Ils apportent une perspective critique sur ce phénomène en mettant à l’épreuve la conscience géographique, en proposant des contenus inusités, en questionnant les outils développés et en favorisant la créativité chez l’utilisateur.

Sylvie Parent, commissaire de Géoweb

1 Qui se rappelle aujourd’hui des cartes géographiques statiques en format jpeg? Les services de renseignements géographiques, comme la cartographie, sont disponibles sur le web depuis bien longtemps. C’est toutefois avec l’avènement de Google Maps et Google Earth en 2005, suivi par plusieurs autres, que le web a commencé véritablement à se charger de données géographiques et à permettre aux internautes de les utiliser à des fins personnelles.
2 Par exemple, l’ajout de photos personnelles tirées du site Flickr dans Yahoo Maps. Des applications de toutes sortes sont apparues dans certains services évidents comme l’immobilier et le tourisme, mais aussi dans d’autres secteurs qui le sont beaucoup moins.

3 Voir par exemple l’article « Projets photographiques pour le web : reconnaissance des lieux » à : http://cielvariable.ca/archives/fr/component/content/article/259-projets-photographiques-web-reconnaissance-lieux.html

4 Le titre du projet réfère au jeu de tague et au géomarquage, deux références très justes en rapport avec ce projet.

5 Voir l’exposition Flussgeist qui s’est tenue à la galerie Oboro : http://www.oboro.net/archive/exhib0809/gregory_chatonsky/info_fr.html

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Basé à Toronto, No Media est un collectif d’artistes, de commissaires et de chercheurs dédiés au dévelopement  de projets d’art électronique, sous forme de performances, d’installations et de publications. Leur approche interdisciplinaire et interculturelle interpelle des enjeux sociaux et identitaires : l’immigration, le métissage, les frontières, etc.

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Plusieurs centres montréalais en arts numériques s’associent à la Société des arts technologiques et au Conseil québécois des arts médiatiques pour soutenir des projets d’artistes émergents dans le cadre des Labsessions. Quatre artistes ont été retenus pour présenter leurs œuvres en cours lors d’une réunion au centre Prim le 10 avril dernier.

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Pied Carré (Pi²), le Regroupement des créateurs du Secteur St-Viateur Est, est un organisme à but non lucratif rassemblant créateurs et créatrices (artistes, musiciens, designers, artisans ou représentants d’ateliers collectifs, de petites entreprises et d’organismes du secteur créatif) du secteur Saint-Viateur Est de Montréal.